Beaucoup de jeux et de suppléments pour jeux de rôle cités dans ces pages ont été traduits en français, mais c'est leur version originale (anglaise ou américaine) qui est présentée. Pourquoi ?
Si l'on fait abstraction du fait que de nombreux produits de JDR de qualité ne sont jamais traduits en français, il y a trois raisons essentielles qui me font préférer la VO à la VF :
Le délai de traduction : il est pénible de devoir attendre des mois, voire des années, que des suppléments particulièrement intéressants, ou occupant une place clé dans une gamme, bénéficient d'une traduction en français. Surtout quand on n'est pas certain qu'une traduction soit faite un jour, et qu'en attendant ainsi une hypothétique traduction, on court le risque que le supplément soit épuisé en VO lorsqu'il est annoncé qu'il ne sera pas traduit.
Le prix plus élevé de la VF : alors là, il n'y a pas photo ! Entre la VO importée et la VF, la différence de prix est en général d'au moins 50 FF (environ 7,5 Euros) ; et c'est bien un écart mi-ni-mum ! L'écart peut dans certains cas faire plus que doubler le prix du produit (du Corporation Report 2020 Volume I au Corporate Book I, par exemple : j'ai payé la VO (neuve) 53 FF quand la VF en valait 120...).
La mauvaise qualité de la traduction : la raison numéro 1 pour préférer les VO. Car si on ne s'en rend pas forcément compte quand on ne connait que la VF, la comparaison entre texte anglais original et prétendue traduction est souvent édifiante et parfois effarante. En vrac, on rencontre :
Des textes en bon français mais qui contredisent l'original (gênant, vous en conviendrez) ;
Des phrases qui ne veulent rien dire en français et montrent que le traducteur n'a pas compris le texte qu'il traduisait ; certaines traductions sont d'ailleurs tellement pitoyables qu'elles nécessitent une bonne connaissance de l'anglais pour comprendre certains passages, car il faut effectuer une retraduction littérale du petit-nègre vers le texte original ;
Des traductions littérales, voire carrément des mots et expressions inventées par le traducteur, qui a eu la flemme de consulter son Harrap's. Vous voulez des exemples ? En voici trois :
dans Bushido : point blank traduit par point blanc au lieu de bout portant ;
dans Star Frontiers : bâton de la nuit pour traduire nightstick (au lieu de matraque) ;
dans Les guerriers du soleil : narwhal, qui se traduit par narval en bon français, est remplacé par l'amusant néologisme baleinar ;
et ce ne sont là que des exemples simples et immédiatement repérables ; mais lorsque l'erreur se glisse dans un terme technique, sa rectification est beaucoup moins aisée... Ainsi, cette question d'un joueur de GURPS sur les dégâts des balles explosives : ce que la VF de GURPS appelle balle explosive est en bon français une balle à pointe évidée (hollow-point bullet) : rien à voir, ni au niveau du nom, ni au niveau des effets...
Il y a aussi la méconnaissance de certaines particularités de la langue et de la civilisation anglaises ou américaines ; je ne pense pas seulement aux faux-amis (qui causent hélas bien des problèmes à certains traducteurs de jeux de rôle du dimanche), mais à l'argot, à des expressions techniques qui ne figurent pas dans le premier Harrap's venu, aux jeux de mots, aux références culturelles (clins d'œil à des films, des séries télé, des évènements, des éléments du mode de vie américain, etc...) ;
Des noms propres qui subissent d'étranges transformations. Certes, la francisation des noms propres, lorsqu'elle est justifiée, est une chose agréable ; mais que penser des francisations partielles (une partie seulement des noms propres), ou des modifications injustifiées ? Par exemple, toujours dans Les guerriers du soleil : deux personnages, Jaxarte et Floriat, deviennent en VF Laxarte et Flora. Sans commentaire... Et ce n'est pas propre aux traductions de l'anglais vers le français, puisque bon nombre de lieux-dits de l'Aventurie (l'univers de l'Œil noir) ont été victimes de ce genre de modifications ;
Des excès de zèle inhabituels du traducteur, l'amenant à traduire des termes anglais qui sont pourtant passés tels quels dans la langue française ;
Dans certaines gammes, il n'y a même pas d'harmonisation entre les traducteurs de différents suppléments pour le même jeu, ce qui conduit à des termes différents pour désigner la même chose selon le livret consulté (voyez GURPS Horreur, par exemple, qui porte bien son nom...) ;
Sans parler de cette désagréable manie de ne pas traduire les titres, qui certes ne gêne en rien la compréhension du texte, mais n'est pour autant, ni justifiée, ni excusable. Saviez vous par exemple que lorsque Star Wars a été traduit en français, tout le monde parlait encore de La guerre des étoiles pour désigner les films sur lesquels il se base ? Et passe encore pour des titres comme Cyberpunk, qui est passé dans le vocabulaire ; mais Earthdawn ? Shadowrun ? Star Frontiers ? Et j'en passe...
Et puis, indépendamment de la qualité de la traduction, il arrive (rarement heureusement) que l'éditeur français fasse sauter une partie du produit, pour des raisons jamais bien nettes. Ou qu'un morceau d'un produit, censé être traduit ultérieurement, passe aux oubliettes. Ou (pire) que des paragraphes disparaissent entre la VO et la VF, indépendamment des intentions de l'éditeur (dans RuneQuest ou dans GURPS Magie, par exemple).
Le problème des traductions de JDR est principalement dû au fait qu'elles sont réalisées, non pas par des traducteurs professionnels, mais par des joueurs, peut-être motivés, mais *illétrés* (faute d'orthographe extraite de GURPS VF)... Quand ce n'est pas directement traduit par des Américains (la boîte rouge de D&D par exemple...). Certes, faire appel à un vrai traducteur coûte probablement plus cher (même si les traductions bénévoles comme celle de Bushido ne semblent plus pratiquées). Mais au niveau qualité du produit final, au moins, on a moins de risque d'obtenir une traduction de mauvaise qualité.
Certains inconditionnels des VF pourraient penser que je pinaille. Mais je ne fais que citer quelques exemples que j'ai retenus ; une lecture comparée des VO et VF de GURPS, par exemple, permettrait de recenser quantité de problèmes de traduction, et si maladresses de phrases et vocabulaire mal choisi peuvent éventuellement faire sourire, les contresens me semblent nettement moins marrants... À tel point que le Merci Véro ! de la page de remerciements de la VF, s'adressant à la traductrice, prend vite un double sens...
Je reconnais toutefois qu'il existe aussi des produits dont la traduction est convenable.
Quels arguments valables pourraient donc me faire préférer une VF à une VO ? J'ai beau réfléchir au problème, je n'en vois aucun...
La VF est en français : en plus ou moins bon français, pour être précis (voir exemples ci-dessus). Et la langue pour moi n'est pas un problème. D'ailleurs, c'est grâce aux jeux de rôle en VO que j'ai appris l'anglais ! Reste je le concède qu'il est plus facile de retrouver une information précise en feuilletant un ouvrage en français.
La VF est conforme au produit original : sauf quand le traducteur commet quelques contresens, ou se permet de modifier à son idée le texte ; plusieurs exemples sont évoqués plus haut. Remarquons quand même qu'un bon truc pour faire acheter une VF au possesseur de la VO est peut-être de rajouter quelque chose de qualité et qui n'est pas disponible séparément : exemple de Les mers du destin, VF de Sailing on the Seas of Fate, qui contient deux scénars français originaux dont l'auteur m'affirme qu'ils sont vraiment bien !
Le prix : qui peut parfois aller du simple au double entre la VF et la VO, comme cela a été expliqué plus haut...
La disponibilité : entre la parution de la VO et sa traduction, le délai varie de 1D6+6 mois à... l'infini (River of Cradles, dont la traduction chez Oriflam fut annoncée en... 1993 ?).
La maquette : ah ça, ça peut éventuellement être un bon argument (voir la classe des suppléments de luxe pour RuneQuest chez Oriflam ; ou les illustrations de Cervall dans les suppléments GURPS en VF, à la place des gribouillis informes des VO...). Manque de bol, ayant commencé à jouer à une époque où les manuels n'étaient presque pas illustrés, c'est un argument qui ne m'émeut guère... Sans compter que parfois les illustrations originales sont mieux que les françaises (couvertures de GURPS (E)Space et GURPS Cyberpunk, à mon avis), que la présentation française n'est pas forcément meilleure que l'originale (aides de jeu indépendantes des scénarios James Bond en boîte en VO, annexées à la fin du bouquin (photocopie (couleur) ou mutilation du livre si on veut les utiliser) en VF...), et que le format des produits, parfois différent des originaux, peut être disgrâcieux dans une collection... (reproche qui a été adressé entre autres à la gamme Deadlands VF).
En achetant les VF, on soutient (moralement) l'économie française (emplois, etc...) : avec des produits imprimés en Pologne, en Slovaquie ou en Asie du sud-est ?
En achetant les VF, on soutient les éditeurs français : et alors ? S'ils ne produisent pas ce qui m'intéresse, mais se contentent de servir d'intermédiaire, autant se fournir directement à la base (VO) pour éviter tous les problèmes déjà mentionnés... Mais alors, si on n'achète pas chez eux, comment pourraient ils produire des trucs intéressants ? Ah c'est sûr, on en revient au cœur du problème du marché du jeu de rôle... Mais quitte à faire de l'humanitaire, autant donner ses sous à des gens qui en ont vraiment besoin, plutôt qu'à des éditeurs qui se foutent pas mal de leurs clients (j'ai dit Siroz, là, vous êtes sûrs ? Pourtant, je pensais Jeux Descartes...). Mais c'est un autre débat...
Reste le cas de la production francophone, qu'il serait évidemment ridicule de vouloir acheter en anglais. Non seulement parce que les versions anglaises n'existent pas, mais aussi parce qu'il est probable qu'elles souffriraient, par rapport aux originaux en français, des mêmes défauts stigmatisés dans les traductions françaises de produits américains ou anglais !