Traveller

Les voyages du Conscience Tranquille : Anekthor, jour 1 (090-1105)


Tivid (1105)


Le matin du grand jour


Le matin du 090-1105 arrive enfin.
Kyle a posé le Conscience Tranquille au pied de l'Anekthor, au camp de base, sur un emplacement légèrement surélevé où l'on peut raisonnablement espérer que, compte tenu de la saison, il n'y ait pas de risque d'inondation par la brusque montée des eaux des torrents qui descendent de l'imposante montagne. Hans a pris les dispositions habituelles pour éviter une mauvaise surprise d'origine humaine en l'absence des occupants légitimes du vaisseau (démontage des injecteurs des étages de mise à feu, verrouillage des sas), l'aéromobile est garée à côté du vaisseau, au cas où il serait nécessaire de la faire venir grâce à la télécommande élaborée par Hans, et la cordée toute entière, comme celles des deux autres concurrents, est prête à s'élancer à l'assaut du monstre de roche, à sept heures tapantes.

Pour redescendre le moment venu, le groupe compte employer l'aéromobile du Conscience Tranquille, dont Hans emporte la télécommande qu'il a passé tant de temps à mettre au point.

Un peu avant le départ, Kyle se familiarise avec le maniement de la caméra antigrav confiée par Sabine Götzinger de Collins1. C'est assez simple, une fois qu'il a intégré quelle amplitude de mouvements de l'appareil il obtient en manipulant la télécommande ; en quelques minutes il l'a bien en main et parvient à la faire voler et pivoter sans saccades. Par défaut la caméra se cale sur les mouvements de la tête et filme dans la direction du regard, donc pour l'essentiel il peut se contenter de garder la télécommande à la ceinture ou au poignet, et ne la manipuler que s'il veut montrer quelque chose de particulier, faire un zoom, un panoramique ou autre effet. Le caméraman voit l'image filmée s'afficher par défaut sur l'écran de la télécommande, qui est elle-même sur un manchon passé à son avant-bras. Il peut également la faire s'afficher sur la visière de son casque d'escalade.
Kyle commence à émettre à l'heure du départ, accompagnant ses images d'un petit commentaire qui lui permet de bien se montrer sur la vidéo : "Il est sept heures du matin, le temps est excellent, et la course vers l'Anekthor commence ! Vous suivrez en direct la progression de l'équipe de Dame Sandra Lockhart de Maitz. La cordée est composée de..." (suit l'énumération rapide des dix membres, Kyle évitant de filmer Gam et Hans) "Votre commentateur est Kyle, capitaine du Conscience Tranquille, qui s'efforcera vous montrer tous les points forts de la course."

À l'heure dite, les trois cordées s'élancent donc vers la montagne ; mais contrairement aux deux autres concurrents, qui se dirigent directement vers la pente la plus proche, Gam dirige celle dont elle a pris la tête vers une vallée pierreuse située à environ cinq ou six kilomètres au nord des camps de base et qui, selon les observations qu'elle a faites à distance, devrait offrir un axe de pénétration intéressant (au moins sur plusieurs centaines de mètres de dénivelé), susceptible de compenser les environ deux heures de marche d'approche (mais faisant perdre de vue les expéditions concurrentes). Dame Sandra s'étonne de ce détour, et Henri Dupont et Eric Jens grognent qu'il s'agit d'une perte de temps sur les autres concurrents, le premier sur le ton de quelqu'un qui voit son enthousiasme de se lancer dans quelque chose refroidi par un contretemps qu'il n'avait pas prévu, le second avec l'anxiété de celui qui est venu pour gagner et se voit imposer un handicap de départ de deux heures... Kyle (qui commente pour la caméra "Étonnamment pour l'½il non averti, nous prenons un chemin différent de nos deux concurrents. Le trajet que nous allons suivre a été mûrement pensé par Gam, notre spécialiste en trekking et alpinisme, pour minimiser la difficulté du chemin, et ainsi nous offrir une progression plus rapide. Bien que semblant plus long, ce chemin nous permettra de doubler nos concurrents juste avant le début de la réelle ascension, et de prendre l'ascendant psychologique sur nos concurrents. Accessoirement, ce chemin nous offre un "échauffement" en douceur, et nous permettra d'inscrire notre effort dans la durée") et Hans (dont l'intervention surprend ceux qui le prenaient pour un taciturne silencieux) soutiennent le choix de Gam, Al se montre plus circonspect, Billy et Charlotte Bogner ne discutent pas mais tentent par leur exemple de donner au groupe l'impulsion nécessaire pour le faire démarrer. Gam réussit finalement à imposer son choix après l'avoir abondamment argumenté. Henri Dupont continue à bougonner et tente quand même à plusieurs reprises (mais infructueusement) de faire abréger le détour en commençant la montée avant d'avoir atteint la fameuse vallée, ce qui nécessite une mise au point ferme de la part de Gam sur l'importance de suivre les consignes dans une expédition aussi dangereuse que celle-ci.

Au bout d'environ deux heures, le groupe atteint enfin le pied de la vallée pierreuse et boisée, encaissée entre deux falaises et au creux de laquelle cascade un petit torrent. À la jumelle, ils parviennent à repérer l'une des cordées adverses, probablement celle de Redcliffe. Elle est déjà bien haut, peut-être à près de mille mètres au dessus du plateau, et pénètre elle aussi dans une zone boisée. La cordée Dupin, plus au sud, n'est pas visible de là.
Gam avait sans doute bien choisi l'endroit par où commencer l'ascension, car une fois sous le couvert des arbres, avec le bruit d'éclaboussures du torrent et des bruits d'animaux (insectes, oiseaux) pour leur tenir compagnie, les marcheurs progressent relativement aisément. La pente n'est guère abrupte, on peut à l'occasion s'aider en s'accrochant aux branches ou aux troncs pour franchir les rares passages escarpés, et la principale difficulté est de ne pas marcher trop près du ruisseau pour ne pas risquer de glisser sur une pierre mouillée.


Pierre qui roule n'amasse pas mousse


Au bout d'une heure environ, les grimpeurs sortent de la forêt, à peu près un kilomètre au dessus du plateau. Les voici dans un immense pierrier, et chaque pas ou presque déloge quelques petites pierres qui roulent un peu vers le bas avant de s'arrêter, prêtes à chasser à nouveau sous le pas du suivant. Il n'y a plus de couvert végétal pour stabiliser la rocaille, et ils progressent donc à vitesse réduite pour ne pas risquer de glisser et de tomber, voire pire, de provoquer un éboulement. Gam, qui les entraîne en diagonale à travers le pierrier, comptant éviter le passage à pic qui les surplombe quelques centaines de mètres plus haut en le contournant par le nord, grimpe en tête. Vient derrière elle un premier groupe constitué de Charlotte Bogner, Henri Dupont (qui a retrouvé son enthousiasme en commençant à monter) et Hans (qui pour se donner quelques forces a commencé à taper dans son stock de sucreries, où les bonbons ont été remplacés par Gam par quelques pilules à base de plantes de sa fabrication à elle ; insuffisamment sucrées au goût de Hans, d'ailleurs, bien que les autres ne seraient sans doute pas du même avis s'il les leur laissait goûter). Un deuxième groupe suit, avec Eric Jens, Wallace Dougal et Billy entourant Dame Sandra. Al et Kyle ferment la marche, ce qui permet à ce dernier de faire de jolis plans larges avec la caméra.

Le groupe progresse en diagonale à travers le pierrier, en faisant attention à ne pas déloger de pierres sous ses pas (et surtout, à ne pas glisser à la suite de ces pierres, car les cailloux sont en équilibre instable et il n'est pas rare que de petits se détachent des autres pour dévaler la pente sur plusieurs mètres... voire parfois plusieurs dizaines de mètres). Il vaudrait mieux ne pas se trouver en contrebas, car avec la vitesse, certaines de ces pierres pourraient faire mal si elles frappaient quelqu'un...
En fait d'ascension, ça n'est pour l'instant que de la simple randonnée, et même s'il faut parfois poser la main sur la roche pour garder son équilibre, les discussions peuvent aller bon train entre montagnards marchant près les uns des autres. Henri Dupont se met donc en devoir de tailler la bavette avec Hans, tentant de lancer la conversation sur son expérience d'alpiniste : "Vous avez dû en faire, de belles ascensions, au cours de vos voyages ? Vous étiez dans le SIEI, c'est bien ça ?" Embarrassé, Hans lui répond laconiquement, minimisant son expérience et comptant sur Charlotte Bogner juste devant eux pour prendre part à la conversation à sa place. D'abord un peu interloqué par la brièveté de ses réponses, Dupont s'adapte à son interlocuteur et lui fait une conversation dans laquelle il peut aisément se contenter de répondre par quelques brèves phrases de temps en temps, lui parlant pêle-mêle de son admiration pour les gens du SIEI, du fait que Tivid est certes un peu à l'écart du reste de l'Imperium, mais que ça ne veut pas pour autant dire que ses habitants sont des ploucs incultes, et de ses précédentes tentatives pour gravir l'Anekthor. Charlotte Bogner participe à son tour à la discussion... et pose elle aussi des questions à l'infortuné Hans, ce qui n'était pas vraiment l'effet qu'il escomptait obtenir.
Dame Sandra quant à elle pose à Billy quelques questions banales sur ses origines et les voyages qu'il a faits avant d'arriver sur Tivid. Billy en profite pour l'interroger sur les deux autres concurrents, leurs équipes, et son appréciation des chances de succès de chacun. Il apprend ainsi qu'ils sont tous les deux arrivés avec une cordée complète d'alpinistes expérimentés et n'ont recruté personne sur place, partant du principe que de toutes façons, personne n'était jamais arrivé au sommet, donc qu'un guide local ne serait pas d'une grande utilité. Quant à estimer les chances de succès, c'est délicat : sa cordée à elle est pénalisée par le fait que ses membres n'ont jamais pu s'entraîner tous ensemble et que certains d'entre-eux manquent peut-être un peu d'expérience (Billy ne peut s'empêcher de penser que c'est un doux euphémisme en ce qui le concerne). Mais elle est persuadée, pour l'avoir vu à l'½uvre, que l'équipage du Conscience Tranquille vaut largement les alpinistes qui auront pu être recrutés par ses concurrents. En outre, le pari à l'origine de l'ascension précise bien que c'est celui des trois parieurs qui arrivera le premier au sommet d'Anekthor qui gagnera : les autres membres des cordées ne comptent pas. Et là, elle est persuadée qu'elle est meilleure et mieux entraînée que ses deux camarades. Donc si les autres membres de sa cordée l'amènent en haut, même si tous n'y parviennent pas et si certains doivent s'arrêter en route, elle pense pouvoir l'emporter. Une cordée plus nombreuse, c'est plus d'équipiers pour aider, pour faire des reconnaissances sur les passages difficiles, et plus de matériel emporté pour faire face à ce qui peut se produire pendant l'ascension, certes, mais ça ne fait pas tout. Elle précise enfin que le mental fera beaucoup pour la victoire : "Et là, je ne crains personne..." ajoute t-elle en souriant. Billy lui assure que tous feront tout leur possible pour qu'elle arrive en tête au sommet. Il enchaîne en l'interrogeant sur ses aventures passées.
Gam en tête ne discute avec personne, concentrant toute son attention sur la voie suivie et ses risques potentiels. Al et Kyle ferment silencieusement la voie, profitant tranquillement du paysage.


Au pied du mur


Partie randonnée, partie escalade vraie lorsque se présentent quelques passages techniques, le groupe progresse bien pendant toute la matinée. Jusqu'à présent, personne n'a souffert du mal des montagnes, il n'y a pas eu de bobo, tout le monde se débrouille bien, mais les choses vraiment sérieuses n'ont pas encore commencé...
Lorsque le relief et la végétation (boisée) leur permettent de distinguer ce qui se passe ailleurs à flanc de montagne, ils constatent que leurs deux concurrents sont toujours à des altitudes plus élevées, mais l'écart semble se réduire lentement mais sûrement : le choix de voie fait par Gam est sans doute en train de payer. Mais de toutes façons, il reste encore plus de 9.000 mètres de dénivelé, et plusieurs jours d'ascension : rien n'est joué à ce stade là, rien du tout.
L'air se rafraîchit légèrement au fur et à mesure de la progression des alpinistes. Les chants d'oiseaux et quelques cris d'animaux les accompagnent, et ils voient de temps en temps détaler à leur arrivée pour plonger dans un terrier, ou les observer à quelque distance, des bestioles à six pattes qui sont probablement l'équivalent local de la marmotte terrienne. Vers midi c'est la halte repas, à la lisière supérieure de la forêt, à environ 5.500 m du niveau de la mer. Au-dessus s'étend une bonne pente rocailleuse suivie d'une véritable muraille rocheuse de plusieurs centaines de mètres de hauteur : les choses vraiment sérieuses vont commencer là.

Quelques dizaines de minutes plus tard, voici le groupe au pied de la muraille. Là, les choses deviennent réellement techniques : c'est un passage à la verticale (voire plus que ça, car une grande partie est en dévers) d'au moins 500 mètres, qui va nécessiter le recours à des cordes et des coinceurs (des pièces métalliques que l'on coince dans les fissures de la roche et qu'on utilise comme points d'ancrage pour la corde, via des mousquetons ; contrairement aux pitons, ils sont faciles à retirer au moyen d'un décoinceur (une sorte de crochet au bout d'une "lame" plate, qu'on insère dans la fissure où est placé le coinceur et avec lequel on essaie de l'accrocher pour le faire remonter à un endroit où elle est plus large, jusqu'à pouvoir le sortir en tirant dessus), et peuvent donc être réutilisés. Le groupe en a de deux types, certains qui s'écartent eux-mêmes grâce à un ressort une fois placés dans la fissure, et de simples bicoins constitués d'une pièce métallique plus ou moins grosse fixée à un petit câble métallique avec un anneau à l'autre bout (chacun a emporté une bonne centaine de ces derniers, ce qui représente environ 1 kg par personne, du fait de l'emploi d'alliages légers)). La procédure est classique : quelqu'un d'expérimenté s'encorde et ouvre la voie, posant les coinceurs et les reliant à sa corde, pendant qu'une autre personne, attachée à la même corde, reste en bas pour le retenir au cas où il dévisserait. Une fois la corde solidement fixée à un point d'ancrage, les autres pourront grimper grâce à elle, en y amarrant leur harnais par mesure de sécurité. Et comme les cordes les plus longues font dans les soixante mètres (de plus grandes longueurs seraient trop délicates à manier), il faudra répéter l'opération plusieurs fois pour franchir le mur.
L'ordre de progression devient le suivant :
Gam, qui ouvre la voie tant qu'elle ne se sent pas trop fatiguée, progressant à son rythme et s'arrêtant pour souffler quand elle le souhaite
Billy, qui l'assure
Charlotte Bogner
Henri Dupont
Hans
Eric Jens
Dame Sandra
Wallace Dougal
Al
Kyle, qui, tout en continuant à filmer cordée et paysage, récupère les cordes et une bonne partie des coinceurs (environ un sur deux) et fait remonter le tout à Gam par une corde dédiée à cet effet, pour qu'elle soit toujours "approvisionnée" sans devoir porter elle-même l'ensemble du matériel.

Gam grimpe la première avec la corde à mettre en place fixée à son harnais, place les coinceurs au fur et à mesure de son ascension (tous les trois mètres environ), et les relie à la corde par des mousquetons. Au fur et à mesure de sa progression, Billy donne du mou à la corde et contrôle qu'elle se déroule bien (sans faire de n½uds, par exemple). Une fois arrivée en bout de corde, Gam la fixe solidement à plusieurs coinceurs : c'est le seul endroit où la corde va être vraiment fixée à la paroi). Pendant que Gam reprend son ascension et place une nouvelle corde, les autres peuvent grimper facilement, en attachant leur harnais à la corde pour la sécurité (avec un mousqueton, qu'il faut ouvrir et fermer à chaque passage de coinceur), et en utilisant pour grimper un ou deux jumars (poignée bloquante qu'on accroche à la corde (et aussi au harnais) et qui ne peut coulisser que dans un sens). Chaque corde peut supporter sans problème 500 à 600 kg.
C'est le premier passage réellement technique de l'ascension, ce qui ne signifie pas qu'il soit vraiment ardu pour ceux qui ont l'habitude de la haute montagne : Gam ouvre tranquillement la voie, qui ne présente pas de difficulté majeure malgré plusieurs sections en dévers, mais Billy, à qui revient la tâche d'assurer sa camarade, se sent tout à coup une certaine pression sur les épaules (en grande partie due au fait qu'il cherche à être aussi proche de la perfection que possible). Pour ce qui est de l'ascension elle-même, il s'en tire sans difficulté, grâce aux leçons de Gam avant le départ, et à un ou deux tuyaux prodigués à l'occasion par Charlotte Bogner, dont le casque mauve fluo est quelques mètres plus bas. Hans, qui grimpe derrière Henri Dupont, peut constater que ce dernier a les gestes d'un alpiniste expérimenté. Al, qui suit Wallace Dougal, se dit que finalement, à quarante ans et quelques on n'est peut-être pas encore vieux (quoique puissent en penser des trentenaires).
Le ciel est bien dégagé, et Kyle peut s'en donner à c½ur joie question jolis paysages filmés avec la caméra antigrav. Les grimpeurs évitent de regarder trop souvent vers le bas, où le Conscience Tranquille commence à devenir vraiment petit et où les camps de base des autres concurrents sont désormais minuscules. Les concurrents en question sont parfois visibles, plus haut sur la gauche, quand le relief et la végétation le permettent (la végétation là où ils sont, bien entendu, car ici pas grand-chose ne pousse, hormis de petites plantes émergeant de certaines fissures de la roche). Ils sont toujours devant, mais un peu moins qu'avant ; et Henri Dupont fait remarquer que l'une des deux cordées (a priori celle de sire Redcliffe) se dirige tout droit vers une corniche sur laquelle plusieurs expéditions se sont cassé les dents par le passé, rebroussant chemin ou préférant la contourner. D'ailleurs, il déclare également que la voie choisie par Gam, jamais tentée à sa connaissance, lui parait être un choix très judicieux.


Quelque chose qui coince ?


Occupé à décoincer un bicoin sur deux, Kyle réalise soudain que plusieurs le long de la présente corde ont été bien faciles à dégager. Il lui semble pourtant surprenant que Gam ne les ait pas placés correctement, et le poids des alpinistes passés après elle aurait dû les ancrer encore plus solidement dans les fissures... La roche ne s'effrite pas particulièrement, et les autres bicoins tenaient normalement (il y en a même eu quelques-uns qu'il n'a pas pu déloger et a dû laisser en place). Il craint donc que sa camarade ne soit malade, ce qui affaiblirait ses gestes et/ou son discernement.
Prévenue discrètement du problème par communicateur, Gam s'interroge. Il lui parait impossible de ne pas avoir placé correctement ses coinceurs : elle est une alpiniste expérimentée, y compris à très haute altitude, et là c'est pour elle presque à la limite de la montagne à vaches. Elle ne présente aucun des symptômes du mal des montagnes, et se sent même en pleine forme (en tenant bien entendu compte de la fatigue normale à ce stade de l'ascension). Elle demande à Charlotte Bogner son avis sur la qualité de la roche, et la géologue lui confirme qu'elle est parfaitement saine. Seul Billy serait assez inexpérimenté pour grimper en posant ses pieds sur les coinceurs afin de moins se fatiguer, mais elle avait bien insisté sur ce point (parmi d'autres) en lui inculquant les bases de l'alpinisme, et il n'est pas suffisamment fatigué pour en arriver là (d'autant qu'avec le matériel dont ils disposent, les montagnards ne fatiguent pas énormément).
Kyle, qui a aussi prévenu les autres membres de l'équipage du Conscience Tranquille, essaie d'employer la caméra pour surveiller ses compagnons de cordée (en commençant (après un rapide plan sur Gam (non identifiable de dos, en tenue et avec son casque) pour donner le change à Collins1, qui pourrait trouver bizarre que la première de cordée n'apparaisse jamais à l'écran) par Billy, qui pour l'occasion pose son casque (qu'il remettra une fois la caméra plus bas, car il y a de temps en temps des petits cailloux qui se détachent au passage de Gam) et se recoiffe tant bien que mal), sous couvert de les filmer chacun à leur tour dans l'effort, afin de vérifier si l'un d'eux ne dégage pas les coinceurs pour saboter l'ascension ; mais l'idée ne s'avère pas pratique à mettre en ½uvre efficacement, car il lui est difficile de filmer chacun suffisamment longtemps (il n'y a qu'une vingtaine de coinceurs par corde, soit dix à quinze minutes d'ascension), ainsi que de surveiller attentivement leurs gestes tout en continuant lui-même à grimper au même rythme. Arrivé en haut de sa corde, il constate que sur les trois coinceurs que Gam avait placés pour lui servir de point d'ancrage costaud, deux ont du jeu, dont un sur lequel il lui a suffi de tirer à la main pour le dégager. Bref, à un coinceur près, les derniers alpinistes (au moins Al et lui, puisqu'il est certain ce n'est pas son coéquipier qui a trafiqué les fixations) risquaient d'être victimes d'un grave accident, car il est probable que si la corde s'était détachée de la paroi, les coinceurs mal fixés situés sur la dernière quinzaine de mètres n'auraient pas tenu, et c'était donc une chute de cette hauteur (jusqu'à ce qu'un coinceur tienne, et retienne la corde), avec mouvement pendulaire et grand balancier amenant les malheureux à venir violemment heurter la roche. Gam est pourtant sûre et certaine d'avoir posé les coinceurs comme d'habitude et d'avoir apporté une attention particulière à ceux qui servent de point d'ancrage à chaque corde, puisque leur importance est cruciale.

La responsabilité de Gam dans la mauvaise tenue des coinceurs ayant été écartée, le mystère reste entier.
Hans avance l'hypothèse de quelqu'un utilisant des pouvoirs psioniques (il propose même dans un souci d'exhaustivité l'hypothèse que les Marcheurs du Vent existent et possèdent des pouvoirs psioniques, mais cette idée n'est pas approfondie, personne ne la prenant au sérieux). Tivid est située un peu loin en direction inverse pour se trouver dans la zone d'influence habituelle zhodanie, mais avec eux, on peut s'attendre à tout. Reste à savoir pourquoi ils s'intéresseraient à trois petits nobles qui font la course sur une montagne... Les explications possibles ne manquent pas, puisque ce sont les nobles qui représentent l'autorité de l'empereur lui-même à l'échelon local, et donc qu'ils ont un pouvoir politique (et souvent militaire) important ; peut-être pas les trois concurrents eux-mêmes, mais leurs familles par contre détiennent chacune une planète en fief, Robert Dupin est même l'héritier du titre de vicomte de Pallique si son père venait à décéder, le père de Thomas Redcliffe est à la base un riche homme d'affaires. Bref, il peut peut-être se passer des choses dans des sphères de pouvoir élevées qui auraient des conséquences ici (et inversement). L'hypothèse psionique semble mettre Hans mal à l'aise : il se renfrogne et semble encore plus grognon que d'habitude. Il se replie sur lui-même, cesse complètement de parler sauf pour répondre aux questions directes, et se concentre sur la montée et notamment l'examen des coinceurs.

L'ascension continue, l'équipage du Conscience Tranquille étant attentif à chaque coinceur, mais aucun nouveau problème n'est décelé (ce n'est pas faute qu'ils aient tripoté les coinceurs chacun à leur tour pour vérifier) : il n'y a eu des soucis que sur une seule corde. Sabine Götzinger contacte Kyle pour lui demander s'il pourrait montrer un peu plus la première de cordée et essayer de varier un peu les prises de vue, par exemple en éloignant la caméra de la paroi pour faire une vue d'ensemble de tout le monde en train de grimper, ou en faisant circuler la caméra de haut en bas puis de bas en haut de tout le groupe. Néanmoins très enthousiaste, elle ajoute qu'elle est "super contente" des images qu'il leur fournit, que ça va donner une chouette émission pour ce soir, et qu'ils vont sûrement utiliser certaines parties qu'ils n'auront pas le temps d'antenne de diffuser aujourd'hui pour faire des documentaires sur l'Anekthor et/ou des émissions plus longues sur la tentative d'ascension.

La cordée en finit enfin avec ce long passage et arrive à nouveau à une portion qui peut être gravie en marchant (en s'aidant des mains à l'occasion). Les grimpeurs sont à environ 6.000 mètres d'altitude (ce qui commence à se faire nettement sentir côté températures : il doit faire à peine plus de zéro). Gam voudrait atteindre 7.500 mètres, voire 8.000 mètres avant la nuit, pour y bivouaquer. Ceci devrait leur prendre entre deux heures et deux heures vingt si tout va bien. Au-dessus, ils vont commencer à rencontrer neiges éternelles et glaciers ; elle estime qu'il serait préférable de commencer sur ces parties le plus tôt possible le lendemain, avant que la chaleur du soleil n'ait commencé à faire fondre la glace en surface et à la rendre plus dangereuse pour ceux qui s'aventurent sur elle, et qui risquent de passer brutalement à travers une couche uniformément blanche pour chuter au fond d'une crevasse. Pour cela, il faudra repartir en pleine nuit, à la lumière de la lune et des lampes frontales.

Sur la gauche, l'expédition Redcliffe est désormais plus bas, bloquée qu'elle a été par une corniche infranchissable comme Henri Dupont l'avait annoncé. L'expédition Dupin par contre reste la plus élevée, mais son avance a nettement diminué.


Une partie de saute-mouton ?


Après une courte pause pour souffler un peu, enrouler proprement les cordes et ranger les coinceurs, l'ascension reprend, avec l'ordre de marche initial. Le vent qui s'est levé fait ressentir plus vivement la fraîcheur de l'air, d'autant qu'il n'y a plus guère d'arbres ici pour s'en protéger : la végétation consiste principalement en un tapis d'herbe sur lequel poussent des buissons (dont certains portent des baies rougeâtres), et ça et là un arbre aux formes biscornues, guère plus grand qu'un humain.
Au bout d'une demi-heure environ, le groupe approche droit sur un groupe d'une demi-douzaine d'animaux à six pattes, à la fourrure d'un gris sale, de la taille d'un gros mouton, portant sur le chanfrein une sorte de corne aplatie qui s'élargit vers le haut jusqu'à devenir un peu plus large que leur front. Occupés à farfouiller dans les buissons, apparemment pour y manger les baies qu'ils arrachent avec leur longue langue noire, ils agitent fréquemment les oreilles, sans doute pour chasser les nuées de moucherons qui commencent également à s'intéresser aux montagnards, entrant dans leurs oreilles, leurs narines, leurs bouches, se posant sur leurs visages et jusque sur leurs yeux, les contraignant à les chasser de grands mouvements agacés des mains et à s'asperger de répulsif (car même si apparemment ils ne piquent pas, leur contact est plutôt désagréable).
Gam et ses compagnons sont à environ cinquante mètres en dessous du groupe d'animaux, peut-être un peu plus, quand l'un d'eux relève brutalement la tête, regardant dans leur direction, et émet un cri vaguement comparable au bruit d'un cheval qui renâcle.
Les allogènes demandent l'avis des autochtones qui les accompagnent quant à la conduite à tenir vis-à-vis de ces animaux. Charlotte Bogner indique à Gam qu'il vaut mieux faire un écart de quelques dizaines de mètres. Ces animaux (des vézands) n'aiment pas qu'on les approche de trop près et sont susceptibles de charger pour faire reculer les intrus. Et non seulement un coup de tête peut faire très mal, avec cette corne aplatie, mais chuter en montagne n'est pas vraiment une bonne idée...
Henri Dupont précise qu'à la saison du rut, les mâles se battent à grands coups de corne. "Normalement, la saison est passée, donc ils devraient être plus calmes, mais ils sont effectivement souvent irascibles et il vaut mieux les contourner d'assez loin."
L'un des vézands se met à gratter énergiquement le sol sous un buisson, et Dupont précise que ces animaux (comestibles) sont omnivores, et qu'il doit sans doute y avoir un nid d'insectes ou de bestioles quelconques dans la terre sous le buisson. Et il enchaîne avec une anecdote selon laquelle un alpiniste parti faire une ascension en solitaire d'une montagne voisine aurait été dévoré au bivouac par ces animaux. "Il y avait plein d'empreintes tout autour, mais de lui on n'a retrouvé que son matériel d'escalade... Ils avaient même réussi à ouvrir les boîtes de conserve avec leurs dents !" Heureusement, ce genre d'incident reste selon lui exceptionnel...
Gam réalise un détour assez large pour ne pas s'approcher des vézands, entraînant le reste de l'expédition à sa suite. Certains des animaux suivent les alpinistes du regard pendant un bon moment, mais aucun ne bouge, et ils finissent par perdre tout intérêt pour ces intrus pour se préoccuper de leur nourriture (alors que les moucherons, eux, font les deux).

Cette partie de la montagne est presque une promenade après les efforts fournis précédemment, et cela permet aux montagnards de récupérer un peu. Ils montent d'un bon pas, mais moins vite que le matin, et discutent moins : les dénivelés passés ont laissé des traces sur les organismes. En outre, il fait désormais quelques degrés en dessous de zéro, et le vent vient de se lever, renforçant la sensation de froid.
Le groupe arrive finalement devant un nouveau passage difficile, une sorte de gendarme qui se dresse sur son itinéraire, un large bloc à la paroi verticale, haut d'une cinquantaine de mètres. Le contourner prendrait certainement plus de temps que de l'escalader (avec corde et coinceurs). L'équipage du Conscience Tranquille décide d'en profiter pour faire ouvrir la voie par quelqu'un d'autre que Gam, bien que celle-ci se sente parfaitement à même de continuer à grimper en tête, malgré la fatigue (qui de toutes façons affecte tout le monde) ; mais outre lui permettre de se reposer un peu, elle y voit une bonne occasion d'évaluer les compétences de Charlotte Bogner, sans gros impact si elle est moyenne du fait de la relative brièveté du passage ; et ce sera valorisant pour la jeune femme. Et bien entendu, ce sera l'occasion de vérifier si les coinceurs recommencent à se déloger mystérieusement...

Charlotte Bogner prend la tête de la cordée avec une légère surprise, vite effacée par un grand sourire. Hans se place en seconde position pour l'assurer (il a pu constater au cours de la journée qu'elle n'était pas si pénible que ça et qu'il pouvait arriver à assurer vis-à-vis d'elle les fonctions sociales minimum (c'est-à-dire au moins lui répondre plutôt laconiquement si elle lui parle sans aborder des sujets trop personnels, à défaut de lui faire lui-même la conversation)). Viennent ensuite Henri Dupont, Al, Eric Jens, Gam, Dame Sandra, Wallace Dougal, Billy et Kyle. L'équipage du Conscience Tranquille, devenu soupçonneux avec l'affaire des coinceurs, compte en effet profiter également de ce passage pour surveiller un peu les gestes de leurs compagnons d'ascension. Eric Jens et Wallace Dougal se sont spontanément placés de façon à encadrer Dame Sandra, l'un (le plus expérimenté en montagne) pour lui ouvrir la voie, l'autre pour l'assurer si elle a un problème. Gam a assez aisément réussi à se glisser devant Dame Sandra, lui prétextant qu'en se plaçant juste devant elle pour ce court passage technique, cela lui permettra de mieux jauger sa façon de grimper, de déceler d'éventuels mauvais gestes et lacunes, et donc de pouvoir mieux l'épauler quand les choses deviendront plus difficiles. Par contre, Wallace Dougal ne laisse personne s'intercaler entre cette dernière et lui ; mais comme elle n'aurait a priori aucun intérêt à saboter sa propre expédition, nos héros n'insistent pas.
Kyle fait en sorte que la corde sur laquel il a observé le problème de coinceurs (l'une de celles du Conscience Tranquille, celle avec le bout orange) soit utilisée au cours de ce passage (bien qu'il n'y ait a priori aucune raison que ce genre de problèmes puisse venir de la corde).
L'ascension du gendarme se passe sans problème. Charlotte Bogner sait manifestement ce qu'elle a à faire, et Hans qui l'observe d'en-dessous ne trouve rien à redire à sa technique. Gam profite de sa place juste avant Dame Sandra pour regarder de temps en temps vers le bas et voir comment elle grimpe (puisque c'était un peu son prétexte pour se placer avant elle) : elle ne semble pas éprouver de difficulté particulière. Quant aux coinceurs, ils tiennent (du moins jusqu'à ce que Kyle les décroche pour les ramasser).

Après une brève halte le temps d'enrouler la corde et de ranger le matériel, la progression reprend jusqu'au crépuscule, qui la trouve à un peu plus de 7.500 mètres d'altitude. L'expédition Dupin est toujours devant, peut-être à pas loin de 8.000 m. Celle de Redcliffe s'est éloignée sur la gauche et on la distingue moins nettement, mais à vue de nez, ils ne sont pas encore à 7.000 m.


Bivouac en montagne


Bien qu'Henri Dupont et Eric Jens soient d'avis de continuer encore un peu, les grimpeurs décident de bivouaquer. Dupont ne fait pas de difficulté à se rendre compte et à reconnaître qu'il s'est laissé emporter par l'enthousiasme : "Vous comprenez, c'est pas souvent qu'on arrive si haut au bout d'une seule journée, alors ça me donnait des ailes. Mais vous avez raison, monter le camp à la lampe n'est pas une bonne idée, et il vaut mieux repartir tôt demain..." Jens n'est pas si bavard, mais n'insiste pas non plus.
Le relief permet de s'installer à peu près à l'abri du vent, qui s'est remis à souffler (mais il faudrait écarter pas mal les tentes les unes des autres pour que chacune soit correctement abritée). Chacun essaie donc de trouver un rocher suffisamment gros pour faire coupe-vent devant sa tente individuelle, un feu est allumé autour duquel tout le monde se rassemble pour le repas (boîtes de conserve autochauffantes (leur ouverture en tirant sur une tirette déclenche une réaction exothermique entre deux composés dans l'épaisseur de la boîte), sachets lyophilisés, barres énergétiques et protéinées, et compléments pour équilibrer les rations ; les bidons d'eau ont été remplis au cours de la journée à quelques torrents qui coulent au flanc de la montagne, et si besoin est, il y en a un pas très loin), et Gam en profite pour faire passer à tout le monde quelques examens médicaux légers afin de s'assurer que personne n'a de problème lié à l'altitude ou de fatigabilité anormale, mais tout va bien. Billy pousse quelques chansons de sa belle voix grave, mais finalement tous sont plus fatigués qu'ils ne le pensaient et chacun décide de se coucher sans plus tarder.
Méfiants mais peu soucieux de monter une garde nocturne dans leur état de fatigue actuel et devant les épreuves à venir, nos héros improvisent un système d'alarme en tendant autour du périmètre du campement des cordes auxquelles sont accrochées les boîtes de conserve vides du dîner et d'autres pièces métalliques, censées s'entrechoquer plus ou moins bruyamment en cas d'intrusion.


Anekthor, jour 2 (091-1105)


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