Larguez les anars !


Ébauche de scénario (ou plutôt, de mini-campagne) pour Space 1890, réalisée à l'origine pour le treizième concours de scénarios de la Cour d'Obéron (qu'elle remporta), et présentée ici dans une version mise à jour.
Le thème du concours était ni dieu(x), ni maître(s), et l'élément imposé, une carte.


Ce scénario pour Space 1890, destiné à des personnages agents secrets ou des policiers français, est facilement adaptable à Space 1889, ou à la Dying Mars décrite dans le dernier chapitre de GURPS Mars ; voire à une version peu orthodoxe de Castle Falkenstein.

Quelques remarques avant de commencer :

  • Il s'agit d'un synopsis, pas d'une campagne détaillée. Pas mal de choses devront être développées pour la rendre réellement jouable.
  • À une exception près, les intertitres sont extraits de la chanson anarchiste La Ravachole.
  • Le texte de la carte postale est extrait (légèrement modifié) de la déclaration de Ravachol lors de son procès, de même que le septième intertitre (C'est la société qui fait les criminels).
  • Pour mettre en scène les rencontres avec les tribus martiennes du désert, le MJ peut s'inspirer du supplément Caravans of Mars pour Space 1889.
  • Si vous êtes censés participer à ce scénario en tant que joueurs, ne lisez pas plus loin...


    Tous les bourgeois goût'ront d'la bombe

    Nous sommes en 1893.
    Le 26 avril 1892, François Claudius Koenigstein, dit Ravachol, auteur de plusieurs attentats à l'explosif, est condamné par le tribunal de Paris aux travaux forcés à perpétuité (jusqu'ici, tout est historiquement exact), et transporté vers Mars, au bagne de Tessen Kedraa (là, c'est spécifique à Space 1890).
    La colonie pénitentiaire de Tessen Kedraa est située en plein désert de Libye, autour d'une oasis située dans le lit du canal asséché qui joignait jadis Syrte à Syrtis Major. Les bagnards qui y sont envoyés sont pour la plupart condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Être "condamné à Tessen" est dans les faits synonyme d'une mort lente. La colonie est censée vivre en autarcie, mais l'oasis ne suffit pas à assurer les besoins en eau des hommes et des cultures vivrières, elle est à sec une partie de l'année chaque fois plus longue, et des puits, vite bouchés par le sable du désert, doivent être forés dans le lit du canal pour tirer de l'eau de la nappe aquifère.


    Dansons la Ravachole

    Ravachol s'est évadé !
    Un tel exploit parait impossible, vu l'isolement du bagne, en plein désert ; mais le prisonnier a bénéficié de complicités au sein de l'administration pénitentiaire : la femme du commandant en second, totalement acquise aux causes défendues avec brio par l'anarchiste, a persuadé son mari de lui permettre de s'évader.
    Ravachol a quitté le bagne sans grosses difficultés, profitant de ce qu'une partie du périmètre avait fort opportunément été dégarnie de ses gardiens, et pris le large en emportant deux gashants, de l'eau, des vivres et du matériel.
    En l'absence d'enquête digne de ce nom, ces éléments n'ont pas été découverts, et Ravachol est présumé mort de soif en plein désert.

    Jusqu'à ce que...


    Mort à la bourgeoisie

    Depuis Mars, Ravachol fait parvenir une carte postale à sa s½ur, dans laquelle il déclare, entre autres :
    J'ai travaillé pour vivre et faire vivre les miens ; tant que ni moi ni les miens n'avons pas trop souffert, je suis resté ce que l'on appelle honnête. Puis le travail a manqué, et avec le chômage est venue la faim. C'est alors que cette grande loi de la nature, cette voix impérieuse qui n'admet pas de réplique : l'instinct de la conservation, me poussa à commettre certains des crimes et délits que l'on m'a reprochés et dont je reconnais être l'auteur.

    Comme tout le courrier circulant entre Mars et la métropole, la carte postale passe entre les mains des services de renseignement français.
    À sa lecture, on voit là des aveux de culpabilité pour plusieurs meurtres commis dans la région stéphanoise en 1891, et desquels Ravachol avait été soupçonné. Les PJ, limiers de la police ou agents secrets, sont envoyés sur Mars avec pour mission de retrouver Ravachol et de le ramener sur Terre afin qu'il soit jugé (et puni) pour ces meurtres.
    Après une traversée éthérique de plusieurs mois, les PJ arrivent à Syrte.
    (option : les PJ peuvent être en poste sur Mars)


    Mais pour tous ces coquins, il y a d'la dynamite

    La piste de la carte postale a déjà été partiellement remontée par les autorités locales (si les PJ sont déjà en poste à Syrte, cela peut faire l'objet d'un scénario préalable) : elle a été apportée par un colporteur français rentrant d'une tournée dans le désert de Libye, qui l'avait vendue à Ravachol, avant d'accepter de la poster, une fois remplie, à destination de la Terre.
    Malheureusement, lorsque les enquêteurs ont cherché à l'interroger plus avant, il venait d'être tué dans un attentat à la bombe antifrançais dans un quartier chaud de Syrte (ou était ce un attentat anarchiste déguisé ?). Pas moyen de remonter la piste de Ravachol par ce bout là...


    Ceux là ont les dents longues

    Accompagnant le convoi de l'administration pénitentiaire qui amène la relève des matons et le nouveau contingent de bagnards (version moderne de la chaîne des galériens), les PJ se rendent à Tessen Kedraa pour y mener leur enquête. Ravachol s'en est évadé, mais c'est finalement le meilleur endroit d'où ils puissent commencer à (essayer de) suivre sa piste.
    Le commandant du bagne, dont la carrière a été stoppée par l'évasion de l'anarchiste, a sombré dans la dépression, et ne sera pas très utile aux enquêteurs. Le commandant en second fera bien évidemment tout pour empêcher les PJ de remonter jusqu'à lui. En recueillant les témoignages de nombreux surveillants et en les recoupant, nos limiers peuvent parvenir laborieusement à découvrir le pot aux roses.

    On pourrait aussi essayer d'enquêter auprès des bagnards. Mais une telle tentative, qui se heurtera à un mutisme obstiné, ne sera pas de tout repos, et présentera même des risques pour la santé, voire pour la vie, des PJ. Animés d'une haine farouche envers tout ce qui porte un uniforme, les forçats refuseront de leur répondre, ou raconteront n'importe quoi. Une solution pour contourner ce problème serait que l'un au moins des PJ se fasse passer pour un bagnard, mais il faudra y penser avant le départ de Syrte (voire de Paris), et faire le trajet jusqu'à Tessen dans les mêmes conditions que les vrais transportés.

    Pour décrire les conditions de vie au bagne, le MJ pourra s'inspirer de récits tels que Papillon, d'Henri Charrière.


    Il y a les miséreux qui ont le ventre creux

    Les PJ partent à la recherche de Ravachol.
    Une telle expédition à travers le désert ne s'organise pas à la légère, et nos enquêteurs seraient bien inspirés de s'équiper correctement, et de faire appel à un guide indigène (ou à défaut, à un Terrien connaissant BIEN le désert). Bien entendu, rien de ce dont ils ont besoin n'est disponible à Tessen (sauf à le voler), et à moins d'avoir été prévoyants, ils devront retourner à la civilisation pour se préparer.

    Logiquement, les PJ devraient chercher la piste du fugitif dans le lit du canal asséché (seule source d'eau à des kilomètres à la ronde, comme le confirmeront les cartes disponibles au bagne) ; et le fait qu'il ait fait parvenir une carte postale à Syrte devrait les inciter à prendre la direction de cette ville.
    Dans cette partie du scénario, le MJ devra d'abord s'attacher à faire prendre conscience aux joueurs des rigueurs mortelles du désert, puis de la difficulté de leur tâche (car Ravachol n'est pas resté à les attendre dans le lit du canal, sinon ils l'auraient rencontré en se rendant de Syrte à Tessen). Lorsque les joueurs seront à point, il pourra faire intervenir une rencontre avec une tribu de Martiens des terres sèches.

    Les nomades, chassés des zones moins arides où leurs ancêtres vivaient par les colons français et menant de ce fait une existence plutôt misérable, ne seront pas particulièrement amicaux envers les Terriens, mais si ces derniers parviennent à gagner leur confiance, ils pourront tenter de se renseigner au sujet de leur gibier.
    La tribu n'a pas rencontré de blanc isolé, mais elle a entendu des rumeurs. Selon l'humeur du MJ, il pourra s'agir de la vraie piste de Ravachol, ou d'autres blancs partis seuls dans le désert (naturalistes, prospecteurs, pilleurs de ruines, etc...). Quoi qu'il en soit, les PJ devraient quitter le lit du canal pour s'enfoncer dans le désert en suivant un autre canal asséché (plus petit que le précédent), en direction de la mer tyrrhénienne.

    Le MJ a toute latitude pour faire durer l'errance des PJ aussi longtemps qu'il le désire et les promener dans le désert dans toutes les directions, en agrémentant de temps en temps cette quête de rencontres avec des tribus indigènes. Finalement, les PJ entendront parler d'une oasis située sur le lit asséché d'un autre canal, où une petite tribu de Martiens des oasis a recueilli un Français aux idées bizarres.


    C'est la société qui fait les criminels

    Cette dernière piste est bien la bonne et finalement, Ravachol est retrouvé, vivant à l'indigène parmi une tribu de Martiens des oasis, au sein de laquelle il prèche les idées anarchistes.
    N'ayant que peu de contacts avec d'autres tribus, ces Martiens ont, sous l'influence de Ravachol, créé une sorte de société libertaire idéale, abandonnant tout concept de chef ou de hiérarchie, mais aussi la religion animiste et le culte des ancêtres.

    À moins que les PJ n'arrivent l'arme au clair ou ne manifestent une attitude agressive, Ravachol et ses Martiens les accueilleront fraternellement et mettront à leur disposition les ressources de leur oasis, loin d'être mirobolantes certes, mais qui leur permettent de vivre.
    Il est important que le MJ montre aux joueurs à quel point celui qu'on leur avait décrit comme un monstre sanguinaire est doux, paisible et amical. Soit il n'était pas tel qu'on le leur avait dit, soit la vie dans cette tribu l'a changé.
    Si les PJ le confrontent sans agressivité, Ravachol tentera de se justifier (vous pouvez déclamer quelques passages de sa déclaration lors de son procès), ne niant pas les crimes qu'il a commis en métropole, mais expliquant comment il a été amené à de telles extrémités, et montrant à quel point, dans son nouvel environnement, il a changé.
    Par ailleurs, il n'a aucune envie de retourner vivre dans la société française : il a totalement coupé les ponts, largué les amarres...
    Les joueurs doivent se sentir devant un véritable cas de conscience : soit leurs persos capturent Ravachol et le ramènent au bagne, soit ils considèrent qu'il a réellement changé et rendent à leurs supérieurs un rapport attestant de sa mort dans le désert.


    Assez longtemps geindre et souffrir !

    Une fois leur décision prise en leur âme et conscience, les PJ pourront retourner à la civilisation.
    La civilisation moderne, où règne l'abondance, mais où pourtant, tout le monde n'a pas à manger à sa faim, et où des gens, poussés par la misère, rêvent d'une société meilleure mais en viennent à commettre des actes désespérés qui leur valent le bagne ou l'échafaud...
    Si Ravachol est leur prisonnier, il sera jugé à nouveau, condamné à mort et guillotiné à Syrte.


    Vive le son d'l'explosion !

    Épilogue :
    Si les PJ ont arrêté ou tué Ravachol, ils seront, quelques temps après ce scénario, pris pour cible par des attentats anarchistes à l'explosif.
    Y a-t-il un rapport avec la réussite de leur mission ? Qui sait...
    Mais s'ils lui ont laissé la vie sauve, qui sait si, un jour, il ne sera pas repris par ses vieux démons ?


    Notes

    Quelques temps après avoir publié ce texte, je me suis souvenu que le personnage de Ravachol avait déjà été utilisé dans l'un des scénarios de Tales from the Ether, et que ses caractéristiques figuraient même dans les règles de Space 1889. Si je m'en étais souvenu plus tôt, j'aurais peut-être choisi un autre anarchiste comme base de Larguez les anars !...


    Me contacter | Retour à la page d'accueil | Retour à la page jeux de rôle | Retour à la page scénarios