Les évolutions de l'armée française sous la IIIème République


Le décret du 15 novembre 1865 est la première étape d'une réorganisation de l'armée de la République, avec le renouvellement et la réorganisation du parc d'artillerie. (1)

La guerre de 1866, contre l'envahisseur prussien a facilité l'acceptation par l'opinion publique de la nécessité d'une réorganisation de l'armée, avec retour à l'incorporation de la classe entière. La loi Niel (du nom de son auteur, le maréchal Niel) du 1er février 1868 (2) prévoit :

En dépit de l'opposition d'hommes politiques tels que Garnier-Pagès (qui soutient qu'en cas d'invasion on réaliserait une levée en masse comme en 1793 : "Avec ce système, la France est invincible" (3)) ou Gambetta (qui réclame en 1869 la totale disparition de l'armée d'active (3)), et malgré la mort du maréchal Niel en août 1869, la loi est votée et mise en application.

L'armée française a su tirer les enseignements de la guerre de Sécession et de celle de 1866. Elle adopte une attitude moins ancrée sur la défensive.
On cherche donc à doter la république de troupes suffisamment nombreuses, bien armées, bien entraînées, bien nourries, mobilisées de façon organisée, et dirigées par des chefs compétents.
À cela, il faut ajouter la valeur propre du soldat français, "troupe solide, dont aucun revers n'entame la bonne volonté ; troupe vaillante qui tâche, à force de courage, de vaincre le mauvais destin" (4).

La réorganisation de l'armée n'épargne pas les officiers : il leur faut changer de valeurs, l'accent n'est plus mis sur les apparences et le mépris pour l'étude, mais sur le travail et la valeur militaire. L'épopée coloniale les aide au besoin à acquérir esprit pratique, sens des réalités, initiative, organisation, expérience du terrain et capacités de commandement.


Loi du 27 juillet 1870 sur le recrutement (5)

Les obligations militaires durent de la vingtième à la quarantième année.
Le service actif à long terme dure 5 ans et concerne la moitié du contingent ; l'autre moitié (déterminée par tirage au sort) ne sert qu'un an.
Des dispenses de service actif sont accordées aux soutiens de famille. Des dispenses totales de service militaire, même en temps de guerre, sont accordées aux ecclésiastiques et aux candidats à l'enseignement public.
Les élèves des grandes écoles et les bacheliers peuvent contracter un engagement conditionnel d'un an (destinés en principe à fournir des officiers de complément, ils doivent verser à l'État 1500 francs pour rembourser les frais de première mise et d'entretien).


Cette même année 1870 (6), le général Ducrot, commandant le huitième corps d'armée de Bourges, met en place au camp d'Avord (près de Bourges) une structure de formation pour les sous-officiers candidats officiers. D'abord peloton régional, elle est transformée en 1875 en centre national par le général de Cissey, ministre de la Guerre.
L'École d'administration militaire (à Vincennes) est créée en 1875.
Supprimée en 1879, le centre national d'Avord est remplacé en 1880 (7) par trois écoles, une à Saint-Maixent pour l'infanterie, une à Saumur pour la cavalerie, une à Versailles pour le génie et l'artillerie (qui se voit aussitôt adjoindre une division pour le train des équipages). L'école de Saint-Maixent reçoit également les sous-officiers de l'infanterie de marine, celle de Versailles ceux de l'artillerie de marine.

Il devient de ce fait rare pour un sous-officier de devenir officier directement.
L'accès des sous-officiers candidats à l'épaulette à ces écoles de formation se fait sur concours, et une préparation spécifique existe depuis 1870 (6).

L'École des sous-officiers de gendarmerie à Paris (caserne Schomberg) ne sera quant à elle créée qu'en 1901.
Pour la Marine, l'École des élèves-officiers de marine (E.E.O.M.) ne voit le jour qu'en 1896.

Toutes ces écoles visent à donner à l'armée française des officiers mieux instruits et mieux formés.


Le décret du 12 mars 1874 met en place l'état-major général du ministère de la Guerre (appelé ensuite état-major de l'armée), militarisant ainsi l'administration de l'armée et instituant les quatre bureaux. Le premier bureau s'occupe de l'organisation générale de l'armée, de la mobilisation, et du stationnement des troupes ; le deuxième bureau s'occupe de statistique militaire et de renseignement ; le troisième bureau s'occupe des opérations militaires, de l'instruction de l'armée et de la topographie en campagne ; le quatrième bureau s'occupe du service des étapes et des chemins de fer, de l'exécution des mouvements de troupes et de leur transport par voies ferrées et fluviales.

L'état-major de l'armée est créé le 6 mai 1890, supprimant enfin les liens entre le chef d'État-Major général et le ministre de la Guerre.


En 1875 (8), le service est réduit à 4 ans pour la première portion du contingent. Il sera ensuite progressivement réduit à 40 mois.


Loi du 15 juillet 1887 sur la réforme du service militaire (9)

Extension de la durée des obligations militaires de 20 à 25 ans, réduction du service actif à 3 ans.
Pour des raisons budgétaires, les soutiens de famille, les jeunes gens sortant de certaines écoles ou titulaires de certains diplômes, et ceux qui se destinent à l'enseignement ou au culte, ne servent qu'un an.
La durée du service dans la réserve passe de 4 à 7 ans, ce qui permet (en augmentant par ailleurs l'effectif des cadres) de constituer des unités de réserve rapidement utilisables en temps de guerre. Les premiers officiers de réserve sont issus, soit des volontaires d'un an, soit des officiers en retraite ; on les cantonne dans les services de l'arrière et leur avancement est tout d'abord limité au grade de sous-lieutenant (puis capitaine, puis jusqu'aux grades d'officiers supérieurs (10)).


Ultérieurement (11), l'égalité des charges militaires sera atteinte par une nouvelle loi fixant à deux ans pour tous la durée du service actif et à 11 ans celle du maintien dans la réserve, et supprimant les dispenses.

Cette même année seront créés les élèves officiers de réserve. Issus des rangs des élèves des grandes écoles et du contingent, ils seront formés par les corps auxquels ils appartiennent, puis sont convoqués tous les deux ans pour une période d'instruction.

Quant aux élèves de Saint-Cyr, ils devront passer un an dans un corps de troupe avant leur entrée dans l'école (mais ce système ne donnera pas satisfaction et sera abandonné quelques années plus tard).


Par décret du 18 février 1875, le général de Cissey, ministre de la Guerre, institue des cours militaires spéciaux (École d'Application d'État-Major, en 1878 École Militaire Supérieure, puis École Supérieure de Guerre par la loi sur le service d'état-major du 20 mars 1880). En partie inspirés de l'exemple de l'état-major prussien (avec sa Kriegsakademie), ils assurent en deux ans la formation des officiers d'état-major.
Le général Lewal en prend en septembre 1877 la direction, et commande l'école jusqu'en juin 1880 (il sera aussi ministre de la Guerre du 3 janvier au 8 avril 1885). Sous sa houlette, puis sous celle de ses successeurs, l'armée française amorce une véritable renaissance intellectuelle.

L'accès à l'E.S.G. se fait par concours pour les officiers subalternes (du sous-lieutenant au capitaine) de toutes armes ayant accompli cinq ans de service comme officier (dont trois dans la troupe), ou par examen spécial pour les capitaines et officiers supérieurs de toutes armes. L'E.S.G. délivre le brevet d'état-major.

Le service d'état-major est assuré par un personnel de toutes armes, titulaire de ce brevet, employé temporairement à ce service et placé hors cadres, mais continuant à appartenir à son arme ; la loi du 20 mars 1880 a supprimé le corps d'état-major.


Loi du 24 juillet 1871 sur l'organisation générale de l'armée (12)

Constitution de divisions et de corps d'armée permanents, pour éviter le désordre des mobilisations et concentrations de 1854 et 1859.
21 corps d'armée (chacun à deux divisions d'infanterie) sont constitués sur le territoire métropolitain (13), plus un en Algérie.

Un bataillon comprend six compagnies (14), un régiment quatre bataillons (dont l'un, détaché en temps de paix dans une place forte, servirait en temps de guerre à former de nouveaux corps ; ce quatrième bataillon est supprimé par la loi du 25 juillet 1885 (15), seuls ses cadres subsistant pour recevoir les réservistes à la mobilisation ; il sera rétabli en 1895 (16)).

Parallèlement à l'armée active s'organise en 1871 l'armée territoriale (17) (au delà de l'âge de la réserve), qui a ses unités distinctes et dont la principale mission consiste en la garde du territoire.
Il est prévu que les unités territoriales de campagne pourront être appelées à opérer avec l'armée.
L'armée territoriale est moins performante que la Landwehr prussienne.

Quant aux réserves, elles ne sont pratiquement jamais rassemblées en temps de paix, et donc très faiblement entraînées (le haut commandement n'ayant de ce fait qu'une confiance limitée dans leur valeur). Elles ne disposent que de quatre grands camps : Châlons-sur-Marne, Mailly, Coëtquidan et La Courtine, alors qu'il en faudrait une douzaine.

Avec ses réserves et son armée territoriale, la France se dote de troupes potentiellement nombreuses, capables de tenir le camp retranché que constituerait la métropole attaquée.


Les habitants des quatre communes du Sénégal (Dakar, Gorée, Saint-Louis et Rufisque), de La Réunion, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe ne font pas leur service militaire et sont donc citoyens de presque plein droit. Seuls sont acceptés dans les forces armées les engagés, par crainte de créer sur place des bastions militaires qui, à terme, pourraient former des embryons d'armées "nationales", comme en Amérique latine au début du XIXème siècle. On préfère assurer la défense par l'infanterie de marine métropolitaine.


Armement et équipement de l'armée française (18)

En 1868 :

En 1874 est adopté le fusil Gras avec cartouche métallique (calibre 11 mm) ; arme tirant encore au coup par coup, mais robuste, précise et fiable.

En 1886 entre en service le fusil Lebel avec magasin de 8 cartouches (calibre 8 mm).

En 1884, le Français Paul Vieille, qui a découvert les poudres colloïdales en 1880, gélatinise le coton poudre, créant la poudre B, beaucoup plus puissante que la poudre noire et sans fumée ni résidus. Le Lebel sera la première arme à l'utiliser.
Vers 1890, l'emploi de la poudre sans fumée se généralise sur les champs de bataille.
Cela entraîne des changements tactiques : les soldats ne sont plus gênés par les nuages de poudre qui obscurcissent le champ de bataille, et peuvent par ailleurs tirer sans révéler leur position.

1890 est également l'année de l'adoption de la carabine Berthier (à trois coups), qui utilise les mêmes munitions que le Lebel (et est souvent appelée Lebel elle-même).


Artillerie de campagne :

À la fin des années 1860, l'armée française copie le chargement par la culasse prussien. Le commandant de Reffye (qui a donné son nom au canon à balles) crée des canons de 5 et 7 (75 et 85 mm) avec culasse à vis, en bronze, puis en acier (19). Ces armes viennent remplacer l'ancien système de 1859 à canons de bronze chargés par la bouche de 4 et 12 livres (86,5 et 121 mm).

En 1875, chaque corps d'armée est doté de deux batteries de canons plus lourds, les 95 Lahitolle (en acier). En 1877 apparaissent les matériels de Bange (80 et 90) qui remplacent les canons de Reffye comme pièces de campagne.
Les projectiles (obus ordinaire, obus à balles) peuvent recevoir soit une fusée percutante, soit une fusée fusante graduée en dixièmes de seconde.
Ce sont des matériels solides et lourds, à tir lent.

Ce n'est qu'en 1897 que le célèbre (dans notre propre histoire) canon de 75 mm C2 modèle 1897 sera mis au point en secret (20) par le capitaine Ste-Claire-Deville et le lieutenant Rimailho.
Il sera pourvu d'un frein hydropneumatique (ce que les Prussiens n'ont pas su faire).
Avec son bouclier d'acier, il pèsera 1,15 tonne (200 kg de plus que le canon prussien), mais a une portée de 8500 m, et aura pour avantages sa rapidité de mise en batterie, le coulissement du canon sur l'essieu, la précision du tir et la rapidité (12 coups à la minute).


Artillerie lourde : (21) (22)

En 1877 apparait le Bange 155 L, puis en 1878 le 120 L, qui sont des pièces de siège et de place (23).

Le chargement des obus avec la mélinite fondue est mis au point par le Français Turpin en 1885. Il permet d'utiliser des explosifs extraordinairement puissants contre les fortifications.

Dans l'avenir, les longues portées de l'artillerie nécessiteront des observatoires éloignés, donc des moyens de transmissions (téléphone).
L'observation aérienne sera envisagée, mais l'aéronef, rapidement monté à une altitude le mettant hors de portée des tirs d'armes à feu, ne peut pas communiquer avec la batterie, autrement qu'en lui jetant des messages lestés...


Le système d'artillerie français en 1890 :

Artillerie de campagne : canon de 90 modèle 1877 (portée 6900 m).
Artillerie de montagne : canon de 80 modèle 1878 (portée 4000 m).
Artillerie de siège et de place :

  • canon de 120 long modèle 1878 (portée 8200 m)
  • canon de 155 long modèle 1877 (portée 9000 m)
  • canon-obusier de 155 court modèle 1881 (portée 9000 m)
  • mortier de 220 modèle 1880 (portée 5500 m)
  • mortier de 270 modèle 1885 (portée 5500 m)

  • Artillerie de côte :
  • canon de 240 long modèle 1884 (portée 11000 m)
  • mortier de 270 modèle 1889 (portée 7000 m)

  • Habillement, équipement :

    Le sac de l'infanterie pesait 30 kg en 1870 (gênant, le fantassin devait souvent s'en séparer avant le combat) ; il a été allégé par la suite, par la suppression de la toile de tente (et de l'habitude algérienne du bivouac : le climat est différent en France).
    Les cuisines roulantes commencent à apparaître (24).
    On dote le combattant d'un outil individuel (pelle, pioche, ...).
    La tenue (pantalon rouge, capote bleu sombre, képi rouge) fait du soldat français une cible de choix pour les tireurs adverses (25).


    Gendarmerie

    La gendarmerie est divisée en gendarmerie départementale et gendarmerie mobile (créée le 23 juin 1871).
    Outre le célèbre bicorne, l'uniforme des gendarmes se compose d'une tunique à neuf boutons en drap bleu foncé, d'un pantalon bleu clair, d'un ceinturon et d'une paire de bottes. Dans certains cas, le bicorne est remplacé par un képi. L'étui de cuir fauve du revolver est porté du côté gauche.


    Aviation

    En 1877, la France (comme d'ailleurs la Prusse et la Russie en 1883 ; l'Angleterre en 1884 ; l'Autriche-Hongrie, la Bavière et l'Italie en 1885) a lancé un modeste programme d'aviation militaire, au moyen de l'Établissement central d'aérostation militaire (installé dans le parc de Chalais-Meudon, et érigé en direction placée sous le commandement du chef de bataillon Charles Renard en 1888), confié à l'Arme du Génie (Génie aérostier), et qui oriente essentiellement ses travaux sur deux axes principaux : les navires volants utilisant le bois d'anémonier, d'une part, et les dirigeables, d'autre part.
    Ces travaux, s'ils suscitent l'intérêt de quelques jeunes officiers (dont le commandant Gallieni), sont considérés avec scepticisme et dédain par les autorités militaires.
    Comme ses rivales, la France voit essentiellement dans les aéronefs un moyen de reconnaissance, d'observation et de transport ; en dépit de l'exemple des pirates martiens, l'emploi de ces appareils en combat ou en bombardement est considéré comme secondaire. (26)
    Cependant, chaque année des inventeurs proposent lors du Concours militaire des engins pourvus de mitrailleuses, ou d'engins explosant au choc et destinés à être jetés à la main par dessus bord, ou lâchés depuis des caissons-chargeurs, sur des cibles au sol, ou d'autres moyens de tuer son prochain.


    Service de santé

    La loi du 16 mars 1882 créant la Direction spéciale du service de santé militaire, puis la loi du 18 juillet 1889 qui vient compléter la précédente, permettent au service de santé des armées d'obtenir son autonomie : il ne dépend plus du commandement du corps d'armée.

    En 1890 est créé le Corps de santé des colonies, à partir de médecins volontaires issus du corps de la marine.


    Fortifications

    L'effort principal de fortification français porte sur la frontière nord-est ; les Alpes et les Pyrénées, constituant des obstacles difficiles à franchir pour une armée en campagne, sont moins renforcées, d'autant plus que ni les Italiens, ni les Espagnols, ni les Suisses, ne constituent une menace importante aux yeux de l'État-Major.
    Les ouvrages de campagne, réalisés à la hâte juste avant la guerre de 1866 sur une ligne allant du nord des Vosges à la Sambre, ont été reconstruits en dur, et leur ligne s'étend désormais de la frontière suisse à la mer du Nord.
    Un effort particulier a été fait pour la défense de la Corne de Rhénanie, portant essentiellement sur la rive du Rhin ; là encore, les États jouxtant la frontière occidentale de la Rhénanie ne sont pas considérés comme la menace principale.

    L'essentiel des fortifications françaises est l'½uvre du général Séré de Rivières, qui fut directeur du génie au ministère de la Guerre entre janvier 1874 et janvier 1880. La forme de fortifications qu'il met en place est connue sous le nom de rideaux défensifs.

    Depuis 1885, les forts sont "retapés" avec du ciment, afin de les rendre moins vulnérables aux obus chargés de mélinite fondue. Il devrait s'agir en principe d'aménagements provisoires avant la construction de nouveaux ouvrages mieux conçus, mais il est à craindre que ce provisoire ne devienne durable...


    Cynophilie

    La cynophilie militaire (utilisation de chiens) en France se met en place tardivement (à partir de 1887) et lentement.


    Colombophilie

    En 1877 est lancée la création de colombiers militaires. En 1881, il en existe onze, à Belfort, Coblence, Cologne, Forbach, Lille, Marseille, Paris, Perpignan, Sedan, Strasbourg et Vincennes. (27)


    Doctrine

    Même si les campagnes coloniales ont permis à un certain nombre d'officiers (en particulier parmi les plus jeunes) d'acquérir un minimum de sens pratique, on observe encore au sein de l'armée française (et surtout de son État-Major) une certaine tendance à croire en la puissance irrésistible de la charge, d'infanterie baïonnette au canon, ou de cavalerie sabre au poing, en négligeant les effets pourtant bien réels des feux d'infanterie et d'artillerie, et la puissance d'arrêt des fortifications de campagne.

    En juin 1875, le règlement de man½uvre de l'Infanterie (RMI) tient compte de la puissance du feu et tire des enseignements judicieux des conflits récents (guerre de Sécession, guerre de 1866), suivant ainsi les idées du parti du feu (importance fondamentale du feu comme mode d'action, abandon de l'ordre serré sur le champ de bataille au profit de l'ordre dispersé) ; mais il est jugé pusillanime par certains généraux du parti du choc (Bonnal en particulier), qui critiquent la lâche utilisation des couverts et le souci excessif d'éviter les pertes. Les RMI ultérieurs (1895, 1904) tiendront compte des innovations techniques (poudre sans fumée, fusils à tir rapide) et des enseignements des conflits récents. (28)

    Le premier document de conduite des grandes unités sera le décret du 28 mai 1895 portant règlement sur le service des armées en campagne (RSC).

    Aux yeux de l'État-Major, l'ennemi, c'est la Prusse (ce qui est d'autant plus vrai que cette dernière n'a pas digéré la perte de la Rhénanie occidentale et ne cache pas son désir de reconquête). La Prusse est perçue comme une menace, plus sur le plan des matériels militaires que sur celui de leur emploi d'ailleurs, alors qu'en réalité, c'est sur ce dernier point qu'elle peut prétendre à un avantage sur la France : pragmatique, l'armée prussienne n'a aucune honte à tirer les conclusions qui s'imposent au vu des évolutions militaires du siècle, et à apprendre à ses soldats à ramper et à utiliser couverts et abris.
    On assiste donc à une course aux armements franco-prussienne, en qualité comme en quantité.

    Deux méthodes de simulation tactique, toutes deux inspirées du modèle prussien, sont utilisées par l'armée française.
    D'une part, le kriegspiel, ou jeu de guerre, exercice sur cartes en vogue à partir de 1874. (29)
    D'autre part, les grandes man½uvres, employées dès 1874 et opposant deux corps d'armée pendant quelques jours. Si sur le papier elles peuvent sembler être un bon entraînement, il n'en va pas de même sur le terrain, où la préparation et l'organisation des exercices restent trop souvent irréalistes et n'incorporent que lentement les évolutions techniques les plus récentes (mitrailleuses, aéronefs, plus tard artillerie à tir rapide, etc...). (30)


    Notes

    1 : historiquement, ce décret réduit le nombre des pièces de campagne à 684 (au lieu de 780 en 1860 et de 1200 en 1841), en raison de l'usure des canons.
    2 : historiquement, cette loi ne fut pas suivie d'effet.
    3 : Historique...
    4 : De Gaulle.
    5 : historiquement, loi du 27 juillet 1872.
    6 : historiquement, en 1872.
    7 : historiquement, l'École militaire d'infanterie (Saint-Maixent) et l'École d'application de la cavalerie (Saumur) ont été créées en 1881, l'École des sous-officiers de l'artillerie et du génie (Versailles) en 1884 (elle est renommée École militaire de l'artillerie et du génie en 1886).
    8 : historiquement, en 1877.
    9 : historiquement, loi du 15 juillet 1889.
    10 : historiquement, en 1897.
    11 : historiquement, loi du 21 mars 1905.
    12 : historiquement, loi du 24 juillet 1873.
    13 : ceci pour tenir compte de la présence de l'Alsace-Lorraine, de la Sarre et de la Rhénanie dans la métropole ; historiquement, il n'était prévu initialement que 18 corps d'armée en France métropolitaine.
    14 : historiquement, ce chiffre est ramené à 4 par la loi du 13 mars 1875 sur les cadres et les effectifs de l'armée, "par crainte de ne pas trouver suffisamment de bons capitaines". Ici, le problème ne s'est pas posé...
    15 : historiquement, loi du 25 juillet 1887.
    16 : historiquement, en 1897.
    17 : historiquement, constituée en 1873.
    18 : sources bibliographiques principales : Cours d'histoire militaire du Capitaine Morel, édité à l'École Spéciale Militaire en 1920 ; Histoire de la guerre à travers l'armement du général Bru ; Du combat antique au combat moderne de Jean Doise, édité par l'ADDIM (Association pour le Développement et la Diffusion de l'Information Militaire) en 1999. La plupart des informations qui suivent en sont extraites ou paraphrasées (moyennant parfois quelques adaptations aux particularités du contexte).
    19 : historiquement, ces canons datent de 1871 et étaient uniquement en bronze, l'industrie française après la défaite n'étant pas en état de fournir un acier convenable.
    20 : afin d'induire en erreur les services de renseignements adverses (prussiens, en particulier), trois pièces de 75 seront mises à l'étude en 1892 : les modèles A et B, à court recul, sur lesquels des fuites seront volontairement organisées, et le modèle C, à recul long, sur fonds secrets et entouré d'une discrétion absolue. Le 75 A sera presque immédiatement abandonné. Les travaux continueront sur le 75 B, de façon à laisser croire que ce sera la pièce retenue ; le capitaine Ducros, responsable des essais, recevra même une lettre de félicitations ministérielle qui lui fera croire que son prototype serait adopté. Une fois la production en grande série du canon de 77 Mle 96 lancée par la Prusse, il deviendra presque impossible à ce pays de faire machine arrière en envoyant au rebut ses canons neufs ; mais le 75 C2 ne sera montré que de loin et rapidement, lors de la revue du 14 juillet 1899, où les similitudes de forme continueront à laisser croire qu'il s'agit du 75 B, et il faudra voir les performances de l'arme en action pour que les autres pays réalisent qu'il s'agit d'une arme différente, et bien plus performante.
    21 : à l'époque, on appelle artillerie de campagne les pièces de calibre inférieur à 90 ou 100 mm environ, artillerie lourde celles de calibre supérieur à 100 mm.
    22 : historiquement, les Français auront une certaine tendance à penser que les qualités du 75 modèle 1897 lui permettront de remplir toutes les tâches : la France s'en tiendra à son canon de campagne, et il faudra attendre le printemps 1914 pour que, le besoin de projectiles plus puissants que ceux du 75 étant enfin reconnu, on constitue cinq régiments d'artillerie lourde d'armée, au matériel en majorité vieilli : 120 court sur affût Baquet, 120 long de Bange, 155 court Rimailho, 105 long Schneider.
    23 : mais qu'historiquement on verra sur le front en 1915.
    24 : historiquement, elles manqueront encore dans beaucoup d'unités françaises lors de la mobilisation de 1914.
    25 : or les fantassins prussiens reçoivent une instruction au tir particulièrement poussée (les Français quant à eux privilégient la grenade).
    26 : ce seront les Bavarois qui, les premiers, se mettront à pratiquer la chasse par équipe de deux (ou plus) petits aéronefs, rapides et maniables, chacun protégeant son ou ses coéquipier(s).
    27 : historiquement, il y en avait huit à cette époque, à Belfort, Lille, Marseille, Paris, Perpignan, Toul, Verdun et Vincennes.
    28 : historiquement, le RMI du 29 juillet 1884 (sous l'impulsion entre autres du général Cardot pour qui toute tactique qui n'est pas orientée énergiquement et impitoyablement vers le corps à corps est une tactique à rebours) constitua un retour en arrière et sera suivi d'autres règlements tout aussi aberrants pour les champs de bataille de l'époque, qui n'ont plus grand'chose à voir avec les théâtres de la glorieuse épopée napoléonienne. Mais ici, un minimum de bon sens prévaudra et empêchera la rédaction de ces documents criminels, d'autant plus que l'opinion publique, n'étant pas assoiffée de Revanche, sera nettement moins encline à fustiger la lâcheté du règlement de 1875.
    29 : historiquement, après une vogue de courte durée, le kriegspiel sera progressivement abandonné, avant d'être remis au goût du jour en 1911 par le général en chef Joffre. Ici, l'intérêt pour cette forme de simulation militaire est plus durable.
    30 : la situation est cependant nettement meilleure que dans notre propre Histoire, et ces évolutions techniques finissent par être prises en compte, en particulier sous l'influence d'officiers ayant servi dans les campagnes coloniales.


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